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Programmation

Jean-Maxime Dufresne et Virginie Laganière

Hot Spots

En période de canicule, le projet Hot Spots s’intéresse à la sphère des loisirs et aux transformations que la pratique de ceux-ci occasionne sur l’espace urbain et les interactions sociales.


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Excursions en vélo - Interventions vidéosonores

Excursions / interventions dans la ville en juillet et août
Vernissage le mercredi 10 août de 18h à 22h au square Viger
Promenades vidéosonores au square Viger du 11 août au 9 septembre 2005
Le public est invité à une dérive à vélo le dimanche 4 septembre 2005 à 13h, départ du square Viger

En période de canicule, le projet Hot Spots s’intéresse à la sphère des loisirs et aux transformations que la pratique de ceux-ci occasionne sur l’espace urbain et les interactions sociales. Combinant la simple excursion à vélo et l’escapade psychogéographique, Dufresne et Laganière sondent les zones de loisirs définies tant par la présence d’aménagements récréatifs que par des occupations plus spontanées. De la sorte, les artistes s’interrogent sur les attitudes et perceptions qui s’y façonnent, sur la liberté et la codification des parcours, sur des phénomènes d’affluence ou sur des considérations paysagères. Ils cherchent aussi à investir des lieux davantage affectés au tourisme et à en dégager d’autres formes de représentation.

Les artistes privilégient l’usage du vélo à la fois comme un vecteur mobile d’exploration et comme un moyen accessible de déplacement citadin. En ce sens, Hot Spots expérimente le réseau cyclable de l’île de Montréal en s’attardant aux regards que celui-ci permet sur le territoire urbain. Cadences biorythmiques, manœuvres sportives, haltes prolongées, manifestations insolites et expériences d’altérité se relayent le long de parcours ponctués de bouffées d’air frais et d’alertes au smog.

Hot Spots évolue sur une base quotidienne à l’affût de points «chauds» d’activité. Le projet s’articule en trois parties: des excursions diurnes ou nocturnes réalisées par les artistes avec deux vélos capteurs-diffuseurs, des promenades vidéosonores au square Viger et un site Web alimenté par une mise à jour continue.

Interpellés par les possibilités d’expériences qu’offrent la ville et ses multiples conditions, Jean-Maxime Dufresne et Virginie Laganière travaillent régulièrement en collaboration à des projets de nature psycho-géographique. On a notamment pu voir leur intervention Surfaces de réparation présentée lors de Ravaudage urbain au centre AXENÉO7 en 2003. Tous deux s’impliquent à l’organisation des événements Périphériques.


Les artistes remercient le Conseil des arts et des lettres du Québec pour son appui.


Jean-Maxime Dufresne (Montréal) est diplômé en architecture et termine une maîtrise en médias interactifs à l’UQAM. Ses recherches se concentrent sur les modalités d’expérience du territoire dans une pratique qui intègre un rapport à la médiation technologique, ce qui l’a récemment mené à présenter Rest Area (Interstices / Algorythmes/UPH 10). Il est membre de l’atelier d’exploration urbaine SYN-, qui a réalisé une série d’interventions dans la ville, notamment Hypothèses d’insertions (AXENÉO7) et Prospectus (CCA Extramuros). En 2006, il exposera son travail chez Optica.

Virginie Laganière (Montréal) poursuit une maîtrise en arts visuels et médiatiques à l’UQAM. Préconisant le mode du parcours au sein de l’espace urbain, sa pratique vidéographique et sonore cherche à construire des correspondances inédites par la rencontre de lieux étrangers. On a pu voir son travail lors d’événements en art électronique organisés par Champ Libre, Perte de signal, Daïmon et Mutek. Au printemps dernier, elle participait à Télétaxi organisé par le collectif Year 01 dans le cadre de la programmation de DARE-DARE.


Rapport d'activité

Projet se déroulait du 11 août au 9 septembre 2005 au square Viger et dans la ville de Montréal
Le public est invité à une dérive à vélo le dimanche 4 septembre 2005 à 13h, départ du square Viger


Le paysage des loisirs

Les cartes ont-elles déjà toutes été tracées? Certains sociologues et philosophes viennent maintenant à parler d’une saturation de l’espace. Ils évoquent même une charnière dans la perception spatiale: le passage d’un espace extensif à un espace intensif, soit que la découverte n’est plus de l’ordre de l’étalement, mais de la division. Néanmoins, nous demeurons stimulés par la possibilité d’une alter-native et notre esprit conquérant, puisqu’il s’agit de penser l’espace, demeure toujours à l’affût de nouveaux territoires. Quant à lui, le projet Hot spots n’est pas une question de découverte; il s’agit plutôt de réaménagement et de réactualisation d’une pensée pratique qui débouche sur de nouvelles formes d’habitation-occupation de l’espace-ville.

Jean-Maxime Dufresne et Virginie Laganière ciblent des espaces de loisirs où s’initient des interactions sociales. À prime abord, les artistes investissent l’espace et constatent la pratique qui s’en dégage. L’intention est au jeu, mais la position de constat passe rapidement à «une pratique qui s’invente elle-même dans la pratique.1» On retient principalement de ces interactions, des pratiques (maintenant plurielles) et des lectures sur le dense texte des loisirs2. D’une part, des promenades plus ou moins structurées dans la ville et ses marges, là où les activités organisées prescrivent l’accès et les possibilités. D’autre part, l’organisation d’une activité, une promenade médiée dans le square. Enfin, pour recueillir tout ça, sans toutefois marquer une pause, un site d’archivage et de diffusion sur Internet où le spectateur peut en voir encore davantage, lui permettant de décupler de la sorte sa propre expérience.

Hot spots est un rapport du cycle à la ville, plus précisément une exploration de ce que permet la promenade à vélo dans la ville. Ainsi, quand on parle de permissions, on s’intéresse aux transformations de l’espace par une pratique. Cet intérêt sous-tend une certaine conception fixe de l’espace des loisirs, comme pour souligner que le circuit est une forme fermée. Il en ressort des parcours déterminés par le mode de déplacement même; le grand territoire a été investi à travers des réseaux de circulation. On ne peut pas dire que le trajet soit déjà tracé, car les voies cyclables3 imposent toujours des choix à l’aide de connecteurs. C’est de cette conception de la ville comme espace de circulation qu’il a été possible de repenser l’espace en termes d’une pratique des lieux, d’une mise en relation de lieux et de ce qui ne sont pas des lieux. De cette façon, Dufresne et Laganière ont considéré à la fois des interstices et des interfaces; ils ont considéré la non-fixité des lieux, l’espacement, ce que Benoît Goetz4 nomme «la dislocation».

En outre, cette intervention dans la ville repose sur des dispositifs technologiques (appareils photo et vidéo numériques et moniteur) qui aident à retrouver une certaine extension de l’espace. En instrumentalisant la promenade à l’aide de capteurs/diffuseurs audiovisuels, ils ont créé une boucle [réception-perception-traitement-diffusion] qui établit des recoupements et des déphasages dans la perception de la promenade. À la lumière de ce qui est donné de voir, il devient possible d’inverser cette boucle. Si cette intervention s’intéresse aux modalités de perception, elle revient, du même coup, au cœur du loisir, en rappelant qu’il est aussi question d’évaluation et de permission. Ainsi, il n’est plus possible de dissocier divertissement et liberté de pratique. Le loisir dans la ville est constituant d’un moment politique dans l’occupation de l’espace.

De la pratique d’un loisir se dégagent une technique, un savoir-faire, un art. À vélo, il y a la connaissance des trajets et leur planification. Bien pédaler. Indiquer sa destination. Lire et suivre les indications. Mieux: les transgresser. Il y a toutes sortes d’instruments qui accompagnent la promenade: cartes, casques, chaussures, sacs, et autres objets qui cliquent. Une série de codes est prévue pour encadrer des usages, des usagers, répondant ainsi à une demande, un environnement, une idéologie, voire aussi des politiques. De façon analogue, il est permis de penser que, de ce lien entre le loisir et l’art, correspond aussi une pratique qui relie le loisir à la ville. On suppose qu’il en découle donc un art de la ville.

Tout bien considéré, le projet Hot spots demeure un projet de parcours et de recours où rien n’est fixé et qui répond ainsi à la nature des espaces fréquentés. Les lieux de loisirs auront été des lieux d’expérimentation, permissifs, hors périmètre. Hot spots, c’est l’importance d’aller dehors l’été et de se rendre sur place, «car il y a toujours quelque chose à voir», et dans l’entracte, changer de place, sentir la tension et l’étalement de la place. Se poster sur la place restera une considération d’action, mais un projet comme celui de Dufresne et Laganière réactive une ouverture, celle de la résonance du voir dans le poste, c’est-à-dire qu’il remet au premier plan la perspective dans le positionnement. Une fois de plus, le loisir ne pourra plus être que divertissement.

Mathieu Fraser-Dagenais, octobre 2005

1. CAUQUELIN, Anne, Cinévilles, Union Générale d’Éditions, 10/18, 1979, p.299.
2. Comme l’évoque Michel de Certeau dans L’invention du quotidien, le lieu serait un texte (on pourrait aussi parler d’image),
un tissu où «la loi du propre y règne», alors que l’espace serait multiple et pratique, serait par conséquent une lecture.
3. Adaptées et réservées exclusivement ou non aux cyclistes.
4. GOETZ, Benoît, La dislocation, architecture et philosophie, Les éditions de la passion, Paris, 2001, p.192